Les enfants de Buchenwald

18/07/2013 19:36

Le 11 avril 1945, les déportés de Buchenwald prennent les armes et délivrent le camp. Quelques heures plus tard, les soldats de l’armée américaine pénètrent dans l’enceinte du camp. Ils découvrent avec stupeur, parmi les détenus politiques, un millier d’enfants et adolescents vivant dans la baraque 66. Le plus jeune, Israël Meïr Lau,dit Lulek, n'a pas encore huit ans.

Ces garçons juifs sont originaires des pays d’Europe centrale et orientale. Début 1945, ils échouent à Buchenwald à l’issue des marches de la mort, après être passés par des ghettos, des camps de travail, des camps de concentration, des camps d’extermination d'Allemagne et de Pologne. On ignore par quel miracle ils ont échappé maintes fois à la mort, notamment à Auschwitz-Birkenau où les enfants étaient gazés dés leur arrivée. Très peu d'entre eux ont été déportés directement à Buchenwald.

A Buchenwald, sous l'égide du Comité International Interne de la Résistance, les déportés se mobilisent pour les protéger des coups. Une école clandestine est même créée pour eux. 

Alors que les déportés politiques sont rapidement rapatriés vers la France, les Alliés ne savent que faire de ces jeunes dont les parents, à peu d'exceptions près, ont été massacrés par les nazis. Ils vont alors attendre que l’on statue sur leur sort et cela va durer deux mois.
Cette longue attente avant leur arrivée en France, en Suisse et en Angleterre, est une parenthèse indéfinissable. Ils ont tous l’espoir fou de retrouver l’un des leurs sur les listes qui circulent alors. Ils doivent réapprendre à vivre, ils ne savent pas quoi attendre du lendemain.

Le Comité Intergouvernemental pour les Réfugiés, les confient à l’OSE, œuvre de Secours aux Enfants, institution juive créée en 1912 qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, œuvrant aux côtés des mouvements de résistance, sauva des milliers d'enfants juifs.

Après une campagne de presse, les interventions de l’OSE auprès du gouvernement français, et également l’intervention de Geneviève de Gaulle- Anthonioz, nièce du Général de Gaulle, résistante de la première heure et déportée au camp de Ravensbrück, la France accepte d'accueillir 426 enfants dans l'ancien Préventorium d'Ecouis, dans l'Eure.

On comprend que cela n’ait pas été facile. La France, elle-même sort exsangue de l’occupation nazie ; elle est encore en reconstruction ; il y a encore des cartes d’alimentation ; bref la vie est difficile pour tout le monde. Les enfants ne sont pas des rapatriés, car ils ne sont pas Français, mais des enfants étrangers que la France accepte d’accueillir.

Près de la moitié des enfants reçoit donc un visa pour la France.  Parmi eux, Israël Meïr Lau, né le 1er juin 1937 en Pologne, deviendra Grand Rabbin d’Israël, et Elie Wiesel, né le 30 septembre 1928 en Roumanie, se verra décerner le Prix Nobel de la Paix en 1986.

Les autres partent pour la Suisse et la Grande Bretagne.

Le train met quatre jours pour les amener en normandie. Transportés de Buchenwald via Thionville en wagons couchettes, ils arrivent le 6 juin 1945 à la gare de Saussay-la-Campagne où ils sont reçus par le Sous Préfet, M.Astruc, accompagné de diverses personnalités dont M. Lecoq Maire des Andelys, André Briard Maire adjoint. Des cars et le camion de M. Lecoq les conduisent à Ecouis, village distant de 6 kms.

L'OSE et la Croix Rouge Internationale les accueillent avec sollicitude au Préventorium mis à leur disposition. Les éducateurs de l'OSE s'efforcent de leur faire oublier les misères et les souffrances de Buchenwald afin de leur permettre de revenir à la vie, de les resocialiser avant de les disperser dans les diverses maisons de l’association. Mais les relations sont difficiles. Les éducateurs attendaient des enfants, ils sont confrontés à des adultes avant l'âge qui se méfient d'eux. Tous ces jeunes ont côtoyé la mort, ont vu leurs proches disparaître et ont connu la violence. Fondamentalement la relation aux adultes est transformée.  Ils ne font plus confiance aux adultes qui étaient censés les protéger. Certains ne peuvent se départir des habitudes prises à Buchenwald, ils chassent pour se nourrir alors qu'ils ne manquent de rien, ils sont violents. L'absence de langue commune aggrave les problèmes de communication. Ils sont de nationalités différentes, de langues différentes, de milieux culturels ou politiques différents. Il y a parmi eux des Hongrois, des Polonais, des Roumains, des Tchèques. Les uns sont très religieux, d’autres sionistes, d’autres encore communistes, ou qui appartiennent à des familles qui l’ont été.

Il est difficile de se mettre dans la tête d’un enfant rescapé, ancien déporté.  Pourtant, grâce aux éducateurs de l'OSE, ils réapprennent peu à peu à être enfant ou adolescent, à jouer, à rire, et même à pleurer.

Le 7 juillet 1945, une forte délégation des jeunes déportés de Buchenwald assiste aux obsèques de Florentine SUEUR à Boisemont (photo ci-dessus). Jean est touché de la présence de ses anciens compagnons de bagne.

Après six semaines à Ecouis, les jeunes sont regroupés par affinité et dispersés dans d'autres maisons de l'OSE. L’objectif est de resocialiser les enfants et les adolescents, de les enrichir intellectuellement et de retrouver des membres de leur famille.

Toutefois, une centaine, dont Israël Meïr Lau, part vers la Palestine dès juillet 1945.

Après deux années passées en France, la grande majorité décide de quitter l'Europe. Elie Wiesel et d'autres s'embarquent pour les Etats-Unis. Seuls 25 choisissent de s'installer dans leur patrie d'adoption. Près de 350 retrouvent une famille.

En 1985, ils reviennent à Ecouis à l'occasion du 40ème anniversaire de leur libération. Tous partagent un destin commun et une reconnaissance sans faille à la France qui les a accueillis, et à l’OSE qui leur a permis de retourner vers la vie.

Un peu plus d'un million et demi d’enfants juifs a été assassiné par les nazis et leurs complices.

 

Sources :          Katy Hazan et Eric Ghozlan, "A la vie ! Les enfants de Buchenwald..."

                        Judith Hemmendinger, Les Enfants de Buchenwald, Paris, l’Harmattan

                        Izio Rosenman, directeur de recherches au CNRS, rescapé de Buchenwald

                        Jean Sueur, rescapé de Buchenwald

                        Elie Wiesel, Prix Nobel de la Paix, rescapé de Buchenwald

                        Impartial du 16 juin 1945

Film : La maison de Nina, de Charles DEMBO, 2005.