Florentine et Jean

Le 6 mai 1911, à Gisors (Eure), Jean Sueur, né le 11 février 1887 à Saussay la Campagne (Eure), épouse Florentine Brochard, née le 16 janvier 1888 à Bézu St Eloi (Eure). Le 24 janvier 1912 naît leur fille unique, Jeanne.

Durant la seconde guerre mondiale, Jean est gérant du magasin de vêtements "Micheline", 72-74 rue des Carmes à Rouen (Seine-Maritime encore appelée Seine Inférieure à l'époque). Florentine y est vendeuse. Ils résident 81 rue de Lessard, à quelques pas de la Place des Emmurées, sur la rive gauche de la Seine.

Début 1942, Jean et Florentine travaillent de concert avec le réseau Libé-Nord de Rouen dirigé par Césaire Levillain. Avec des amis, dont Raymond Pierdet et Germaine Chéron, ils organisent l'évasion et le passage en zone non occupée de dix prisonniers britanniques, pour prise en charge par le consulat américain encore en place à Lyon à cette époque. 

Le 4 janvier 1943, Jean, alias Nénesse, devient agent de liaison pour le groupe des frères Raoul et Henri Boulanger, les Diables Noirs, basé à St Denis le Thiboult, qui  oeuvre, dès mai 1943, pour le réseau Jean-Marie (DONKEYMAN-SOE) du Calvados, réseau dirigé par Henri Frager.

Par ailleurs, en mai 1943, Jean Sueur aide Philippe Liewer (nom de code Clément), agent du SOE de Londres, à établir les bases du réseau SALESMAN (appelé aussi "groupe Combat" par ses membres français), sur la région de Rouen. Florentine et Jean (nom de guerre "Micheline" pour tous deux) assurent le rôle de boite aux lettres principale du réseau, au sein même du magasin "Micheline". Le réseau regroupe 350 membres, soit plus de 100 résistants sur le secteur de Rouen, et plus de 200 sur Le Havre. Roger Mayer assure la direction de l'antenne du Havre.

Après dénonciation et l'arrestation, le 1er mars 1944, de membres du réseau basés près de Dieppe, la Gestapo infiltre dans le réseau un jeune collabo français travaillant pour elle. Celui-ci, muni du mot de passe, se présente au magasin "Micheline" et obtient un rendez-vous avec le second du réseau, Claude Malraux (demi-frère de l'écrivain). Le magasin reste sous surveillance. Menée par la Gestapo et la police vichyssoise, la rafle commence le 8 mars 1944. Près d'une centaine de résistants est prise dans les filets de la gestapo en moins d'un mois, le réseau est démantelé.

Florentine et Jean sont arrêtés le 10 mars 1944 et conduits au Palais de Justice de Rouen où ils sont incarcérés. Emprisonnée dans les sous-sols, Florentine y lie connaissance avec sa voisine de cellule, Suzanne Savale, membre du réseau Cohors-Asturies de Césaire Levillain, lui-même fusillé le 4 mars 1944.

Le 12 avril 1944, Jean et 116 détenus, dont Raoul et Henri Boulanger, Gaston Delbos et Roger Mayer, sont enchaînés deux par deux et transférés au camp allemand de Compiègne-Royallieu. Le 27 avril 1944, Jean et plus de 1680 compagnons de misère sont déportés vers Auschwitz, entassés à 100 par wagon à bestiaux. Ce sinistre convoi aux conditions de salubrité inexistante portera par la suite le nom de "convoi des Tatoués". A Auschwitz, Jean est tatoué du matricule 186424 sur l'avant bras gauche. Il est témoin du génocide juif, notamment des femmes et des enfants.

Le 12 mai 1944, le convoi délesté de 100 hommes décédés ou restés à Auschwitz, repart vers Buchenwald où il arrive le 14 mai. Jean reçoit le matricule 54016. Après une quarantaine au block 57 du petit camp, il est affecté au block 31 du grand camp. Il retrouve son ami de toujours, Albert Forcinal, député des Andelys (Eure) avant l'occupation. Dans son block, Jean intègre le petit groupe Alsace-Lorraine, mené par Henri Demanneville, dépendant du Comité des Intérêts Français, organe clandestin de résistance du camp, créé par Marcel Paul et le Colonel Manhes, et dont Albert Forcinal est le Vice-Président. Jean sera victime de plusieurs maladies durant sa déportation, jusqu'à la libération du camp par les détenus et les Américains le 11 avril 1945. Le 19 avril 1945, avec ses 21 000 camarades du camp, Jean prête le serment de Buchenwald sur la place d'appel. Il est rapatrié le 28 avril 1945 et ramené chez sa fille, Jeanne Patrelle, à St Jean de Frenelles, petit hameau de Boisemont (Eure).

De son côté, après le bombardement du Palais de Justice le 19 avril 1944, Florentine est déplacée à la prison de Bonne-Nouvelle avec ses compagnes de détention, Thérèse Delbos (épouse du Dr Delbos), Lucienne et Augustine Boulanger (épouses respectives de Raoul et Henri). Le 29 avril, elles sont tranférées au fort de Romainville, tenu par les Allemands. Le 13 mai 1944, elles sont déportées vers Ravensbrück où elles arrivent dans la nuit du 17 au 18 mai 1944, sans avoir reçu un seul gobelet d'eau durant le voyage.

Florentine porte le matricule 39302. Après la quarantaine au block 15, elle est affectée au block 31 (même numéro que son époux). Elle y est tricoteuse. Elle souffre énormément de la faim et des mauvais traitements. Elle échappe à plusieurs reprise à la chambre à gaz grâce à l'aide de jeunes déportées qui la cachent. Elle retrouve pour un temps son amie Suzanne Savale. Elles se soutiennent et se réconfortent l'une l'autre. En février 1945, Florentine quitte le block des tricoteuses afin d'échapper aux "transports noirs", les convois menant les détenues vers la chambre à gaz. Elle est contrainte aux travaux de terrassement et transporte des pierres.

Le 5 avril 1945, Florentine est évacuée par le Comité de la Croix Rouge Internationale avec 300 Françaises de Ravensbrück. Le 9 avril 1945, elles sont libérées à Kreuzlingen, à la frontière germano-suisse, en échange de prisonniers allemands détenus en France, puis conduites en train à Annemasse.

Florentine arrive à Paris à la nuit le 14 avril 1945. A son arrivée en gare de l'Est, étant la plus âgée de son groupe, elle reçoit une gerbe de fleurs des mains du Général De Gaulle venu accueillir les premières rescapées de Ravensbrück où sa nièce, Geneviève Anthonioz-De Gaulle a été internée (notamment avec le groupe des tricoteuses de Florentine).

Florentine est ramenée chez sa fille Jeanne le 15 avril 1945. Malgré son état de santé alarmant, elle refuse toute hospitalisation avant le retour de son cher mari. Florentine et Jean, dans un état d'extrême faiblesse, sont hospitalisés à Rouen le 20 mai. Florentine ayant contracté le typhus, sa fille Jeanne est également hospitalisée pour des soins préventifs. Après d'atroces souffrances, Florentine décède à 22 heures, le 29 juin 1945, auprès de son époux.

Des obsèques nationales sont décrétées pour son inhumation le 7 juillet 1945. Jean est présent, Suzanne Savale prononce l'éloge funèbre de son amie Florentine dans le petit cimetière de Boisemont.

Jean décède le 21 juin 1972 à l'hôpital de Gisors (Eure) à l'âge de 85 ans. Il repose auprès de Florentine.

Florentine est citée à l'ordre de la division par le Général De Gaulle. Elle a reçu la Croix de Guerre F.F.C.* avec étoile d'argent. Jean a reçu la Croix de Guerre 1939-1945 avec Palme.

Florentine et Jean sont tous deux nommés Chevaliers de la Légion d'Honneur, en qualité de sous-lieutenants.

 

*F.F.C. Forces Françaises Combattantes