Africains et Antillais, les oubliés des camps
Pendant la seconde guerre mondiale, des milliers d'Africains et d'Antillais sont déportés par les nazis. On ignore le nombre exact de celles et ceux qui sont morts dans les camps nazis.
Les premières exactions concentrationnaires des Allemands contre le peuple noir remontent au début du vingtième siècle. Dans le sud de l'Afrique, le Sud-Ouest Africain, état connu aujourd'hui sous le nom de Namibie, est alors une colonie allemande (1884-1915).
En 1904, à la suite du soulèvement des autochtones Hereros, des camps de concentration sont créés à l'instar de ceux installés par les Britanniques en Afrique du Sud lors de la seconde guerre des Boers. Dans le Sud-Ouest Africain, la population herero est ainsi réduite, par des conditions d'hygiène déplorable et par des famines, de 80 000 à 15 000 individus.
Lors de l'arrivée de Hitler au pouvoir, en 1933, les premiers Allemands noirs sont déportés dans des camps de concentration.
Par ailleurs, après la première guerre mondiale, la France occupe la Rhénanie. Parmi les troupes, se trouvent des soldats noirs. Le fruit des amours de femmes allemandes et des soldats d'Afrique occidentale française cantonnés outre-rhin constitue une humiliation de plus pour le Reich.
Hitler écrit dans "Mein kampf " : "Les juifs ont emmené les nègres en Rhénanie pour souiller et bâtardiser la race aryenne". Pour Hitler, il est inconcevable que des noirs puissent fouler le sol allemand et surtout qu'ils puissent avoir des rapports avec les femmes allemandes. Les enfants nés de ces unions sont alors appelés les bâtards de la Rhénanie. Hitler s'empresse de faire stériliser ces jeunes et les envoie dans des camps de concentration.
En 1935, la promulgation des lois de Nuremberg vise autant les noirs que les juifs et interdit les mariages mixtes au nom de la préservation de la race aryenne. Pour les nazis, les noirs allemands portent atteinte "à la protection du sang et de l'honneur allemands".
Dans les territoires occupés par l'Allemagne, les noirs sont plus souvent déportés pour faits de résistance.
En France, le chanteur John William (1922-2011), de son vrai nom Ernest Hus, interprète de nombreux Negro Spirituals, fait partie de ces déportés. Fils d'une Ivoirienne de Grand-Bassam et d'un Français, il arrive en France à l'âge de 8 ans. Il passe sa jeunesse à Montluçon. Il termine ses études d'Ingénieur à Paris et revient à Montluçon. En avril 1944, à la suite d'un sabotage dans l'usine de Montluçon où il est ouvrier, il est l'un des 12 otages (dont l'âge varie entre 18 et 22 ans) emmenés par la Gestapo. Le 21 mai 1944, il est déporté par le convoi qui part de Compiègne pour le camp de Neuengamme, près de Hambourg, et porte le matricule 31103. Il n'a pas encore 22 ans.
Employé comme mécanicien de précision, il stupéfie les SS par la couleur de sa peau mais aussi, et surtout, par ses compétences. Comment un "homme de Cro-Magnon" parvient-il à lire un plan et à assimiler sans difficulté des données techniques complexes ? Il fait face aux privations, aux conditions de travail extrêmement dures, au froid avec ses camarades de toutes nationalités dont une dizaine d'Antillais et Africains. Sa foi chrétienne l'aide à survivre. Libéré le 3 mai 1945, il reçoit la légion d'honneur en mai 2005 au titre de tous les déportés africains et antillais.
Le parcours de Jean Nicolas, Haïtien résidant en Martinique, est plus tragique. Employé à l'hôpital de Fort-de-France, il est d'abord déporté à Buchenwald, puis à Dora-Mittelbau où il multiplie les ruses pour tenter de survivre. Dans un premier temps, il se fait appeler John Nicols et prétend être un aviateur américain, espérant ainsi être pris en considération par les Allemands. Grâce à son aptitude pour les langues, il parvient rapidement à s'exprimer en allemand, en russe et en polonais. Et comme il possède quelques connaissances médicales du fait de son emploi, il est affecté à l'infirmerie où il sert à la fois d'interprète et d'assistant. Il sauve ainsi la vie à plusieurs déportés. Mais les Allemands finissent par s'interroger. Malgré ses stratagèmes Jean Nicolas partage le sort de ses camarades. Sa santé décline. Après la libération du camp, il est évacué sur l'hôpital américain de Neuilly, les poumons ravagés par la tuberculose. Il s'éteint le 4 septembre 1945 à l'hôpital Saint-Antoine à Paris.
Erika N'Gando, une jeune camerounaise d'à peine 35 ans est déportée vers Ravensbrück le 31 janvier 1944. Renée Haultecœur, arrivée avec elle le 3 février 1944, partage quelques mois de sa captivité. Elle se souvient d'une jeune femme totalement traumatisée, qui ne cesse de répéter : "J'ai froid, j'ai froid". Erika ne sait pas expliquer la raison de son arrestation. Entassées dans des baraques sans chauffage, sous-alimentées, les détenues de Ravensbrück sont soumises à de nombreuses humiliations et à des travaux pénibles, tels que pousser d'immenses roues en pierre pour écraser du mâchefer. Ses camarades la surnomment gentiment "Blanchette", un petit nom familier nullement destiné à se moquer d'elle, mais au contraire pour l'intégrer au groupe, car la solidarité entre les femmes reste plus forte que tout, raconte Renée Haultecœur. Les Africains subissent encore moins bien que leurs camarades le manque de nourriture et le froid sibérien qui fige le nord de l'Allemagne l'hiver. Erika ne survit pas à sa déportation.
Dans les camps, la différence de couleur de peau disparaît, la solidarité entre enfants d'une même patrie, fût-elle colonialiste, devient le seul credo. Toutes et tous sont de la main d'oeuvre humaine, toutes et tous sont des esclaves. Des peuples se découvrent et des enfants de Métropoles et des colonies apprennent la fraternité du malheur.
Soldats, résistants, déportés dans les camps de concentration en Allemagne ou prisonniers de guerre dans les stalags de la zone occupée, de nombreux Africains et Antillais ont donné leur jeunesse, et souvent leur vie, pour que la démocratie triomphe en Europe. Mais de ces victimes-là, il est rarement question.
Sources : Serge BILE "Noirs dans les camps nazis" Ed. Serpent à Plume et Poche
Lien vidéo Serge Bilé et John William : https://www.youtube.com/watch?v=4JR2eC31-eU
Lien vidéo "les noirs dans les camps" extrait du reportage de Serge Bilé : https://www.youtube.com/watch?v=9XTW3n69ILk&feature=related