Convoi des Tatoués, parti de Compiègne le 27 avril 1944

30/05/2012 16:16

 

Parti de Compiègne dans la matinée du 27 avril 1944, à cent par wagon à bestiaux, c'est le troisième convoi de non juifs qui, directement, est allé à Auschwitz. Il faut quatre jours et trois nuits de voyage pour arriver, le 30 avril, en fin d'après-midi, à la gare d'Auschwitz-marchandise, la ligne de chemin de fer conduisant les détenus à l'intérieur du camp n'étant pas encore opérationnelle. "La première journée, de Soissons à Charleville-Mézières, les villes se succédaient en direction du nord-est alors que la matinée de la seconde journée marquait une descente vers le sud-est, jusqu'à Metz, suivie l'après-midi d'une remontée nord/nord-est qui faisait pénétrer le convoi en Allemagne, par Trèves. Les troisième et quatrième jours, l'itinéraire s'incurvait à travers l'Allemagne : Giessen, Weimar, Dresde, puis le train filait à toute vapeur vers la Pologne."

Les déportés sont d'abord parqués dans deux baraques du camp Canada de Birkenau, sur la terre nue, tout près du complexe chambre à gaz-crématoire IV. 1655 détenus sont immatriculés, des numéros "184936" à "186590". D'après les recherches effectuées dans les registres reconstitués de Compiègne, une quinzaine de déportés supplémentaires partent dans ce transport sans qu'on puisse les retrouver ensuite : ils sont donc décédés durant le transport. Le nombre de partants devait donc être de 1670. Il n'y eut aucune évasion connue pendant le transport. Au moins un déporté, Louis Boverie, décède avant d'avoir été immatriculé, exécuté par un SS à la descente du train alors qu'il tentait de s'évader en prenant une moto.

Après le tatouage (sur l'avant-bras gauche) et le passage à la désinfection, ils sont transférés au camp BIIb au bout de quelques jours.

Le vendredi 12 mai, un train est formé près de la porte principale du camp. Il emmène 1561 de ces déportés, à 60 par wagon, vers le KL Buchenwald où il arrive le 14 mai au matin. A leur arrivée, après un nouveau passage obligé à la désinfection et l'attribution de matricules (52401 à 54029), les déportés sont entassés, pour la plupart, au block 57 du petit camp. Le 24 mai, 1000 d'entre eux partent au KL Flossenbürg où ils sont à nouveau immatriculés (9312 à 10311), puis répartis dans les divers Kommando de Flöha, Janowitz, Hersbruck, etc. Sur ce groupe, 618 ne reviennent pas.
Les 590 autres, restés au camp de quarantaine de Buchenwald, soit montent au grand camp, soit sont éparpillés dans une quinzaine de Kommando et de camps extérieurs : Dora, Schönebeck, Langenstein, Weimar, etc. Sur ce groupe, on compte 160 décès.
Pour l'ensemble de ce transport, il y eut 819 décédés.

Ce transport est surtout resté célèbre sous le nom de "Convoi des tatoués " à cause d'une polémique concernant les raisons pour lesquelles il avait été envoyé à Auschwitz (seul camp où les déportés étaient tatoués) : soit pour que les déportés y soient exterminés, soit par manque de place à Buchenwald, soit enfin pour qu'ils y soient versés dans des Kommando de travail.

Aucun document n'a été trouvé confirmant ou infirmant l'une de ces thèses, mais les déportés ayant été tatoués dès leur arrivée à Birkenau, la première hypothèse est à écarter car les SS ne tatouaient pas ceux qui étaient destinés à la chambre à gaz.
Quant à la seconde, celle d'un manque de place à Buchenwald, la longue attente en gare de Weimar et le court séjour à Auschwitz, comme en transit, la rendent plausible.

L'étude des registres reconstitués d'entrée au camp de Compiègne permet de donner un premier aperçu de la composition de ce transport, et notamment de l'origine géographique des déportés. Un cinquième d'entre eux environ, arrive à Compiègne en provenance des prisons parisiennes et de la Seine. Proches de la capitale, les prisons de Rouen (représentant un peu plus de 7% des déportés de ce transport) et de Blois (avec notamment une arrivée importante vers le 20 février 1944 de 400 internés) se distinguent dans ces listes. Un quart des déportés vient des prisons du Finistère, du Morbihan, de Loire-Inférieure, de Gironde et de Haute-Garonne. A l'inverse, ils sont moins de 20% à provenir de l'Est de la France (dont un groupe de Savoie). Enfin, il faut noter l'arrivée d'une cinquantaine de personnes de la prison de Marseille et de soixante-dix autres du Pas-de-Calais. Les origines sont diverses et elles couvrent l'ensemble du territoire. En cela, la composition de ce transport s'inscrit parfaitement dans celles des autres qui partent durant cette période du camp de Compiègne.

L'étude des dates d'arrestation semble indiquer que ces prisons se vident au fur et à mesure que les arrestations s'accélèrent sur le territoire. Les arrivées au camp de Compiègne ont donc surtout lieu en mars et avril 1944.

Cette chronologie est évidemment à rapprocher de celle de l'évolution du conflit mondial et de l'occupation allemande en France. Les actions menées contre cette dernière s'accélèrent en effet à partir de la fin de l'année 1943, et les arrestations se multiplient d'autant. Parmi celles-ci, se distingue la part importante des résistants représentant plus de 70% des motifs connus. On peut y retrouver pour les réseaux ceux dits Buckmaster, liés aux services britanniques, ou les réseaux Turma-Vengeance, Jade, Brutus, Castille, Marie-Odile ; et pour les mouvements de zone Nord, ceux de la Résistance, Libération-Nord ou l'Organisation civile et militaire, sans oublier le Front National (Résistant et qui n'a rien à voir avec le parti politique actuel).

Notons également qu'un certain nombre de personnalités marquantes de la Résistance, dont plusieurs devinrent ministres ou grands serviteurs de l'Etat, font partie de ce transport, notamment, Marcel Paul, ancien conseiller général de Paris et résistant dans l'Organisation spéciale du parti communiste ; le responsable des FTP de la région Ile-de-France, Robert Darsonville, ainsi qu'un certain nombre de ses adjoints ; les parlementaires François Beaudoin, député de la Moselle, résistant dans le réseau Cahors-Asturies, et Louis Destraves, ancien député-maire de Houilles dans les Yvelines ; le journaliste au Temps Rémy Roure ; le propriétaire de L'Indépendant de Perpignan, Georges Brousse ; le polytechnicien et neveu de l'amiral, Georges Thierry d'Argenlieu ; le comte Paul Chandon-Moët ; les poètes Robert Desnos et André Verdet ; le peintre Léon Delarbre, conservateur du musée des Beaux-Arts de Belfort ; etc. Trois " tatoués " ont par ailleurs été nommés Compagnons de la Libération : Rémy Roure, André Boulloche, délégué militaire de la France Libre pour Paris et sa région ; et son adjoint Ernest Gimpel.

Paul Le Goupil