Geneviève de Gaulle-Anthonioz, éternelle militante de la dignité humaine
Geneviève naît le 25 octobre 1920 dans un foyer aimant, à Saint-Jean-de-Valériscle, un village cévenole. Elle est l'aînée des enfants de Germaine Gourdon et de Xavier de Gaulle, frère de Charles. En 1921, sa soeur Jacqueline voit le jour, bientôt suivie de Roger en 1923.
En 1925 intervient le premier drame de sa vie. Elle n'a pas encore 5 ans quand sa mère décède en mettant au monde un enfant mort-né. Son père, fou de douleur, s'enferme dans le silence. Malgré son jeune âge, Geneviève tait sa détresse pour ne penser qu'à consoler son père, elle assume le rôle de petite mère auprès de ses cadets. Xavier finit néanmoins par refaire surface et, poussé par les siens, il convole le 22 décembre 1930 avec une cousine de Germaine, Armelle Chevalier-Chantepie. Nouvelle peine pour Geneviève. Roger n'en est point dupe. C'est de ce remariage qu'il date l'entrée de son aînée en résistance.
Leurs études primaires terminées, les enfants sont placés en pension. Eloignées du foyer paternel, Geneviève et Jacqueline sont solidaires. Mais un nouveau coup du sort plonge Geneviève dans le désarroi. Le 11 octobre 1938, Jacqueline succombe à une typhoïde mal diagnostiquée. Geneviève est anéantie. Longtemps, elle traînera la culpabilité d'avoir survécu à sa cadette.
Dés 1934, Xavier de Gaulle, qui n'a eu de cesse d'inculquer à ses enfants le respect de l'autre et l'amour de son pays, prie sa fille de se pencher sur ce Mein Kampf qu'Hitler a publié outre-Rhin. Tout y est : l'angoisse du présent et le sombre augure de l'avenir. Comment les puissances occidentales peuvent-elles continuer à se voiler la face ? Chavirée par cette lecture, Geneviève dira plus tard :"On m'avait appris que chaque être humain avait une valeur, quelles que soient son appartenance, sa situation et, dans ce livre, j'apprenais que si on n'appartenait pas au peuple germanique, à la race aryenne, on n'était rien... ". Elle comprendra d'autant mieux l'indignation des siens devant la signature des accords de Munich et la montée croissante du péril nazi. A ce moment-là, peu sont nombreux à partager ce point de vue. Inévitablement, la guerre éclate. Officier de réserve, Xavier est mobilisé. Les siens se replient en Bretagne. Geneviève, qui caresse l'ambition d'intégrer l'Ecole des chartes, choisit de poursuivre des études d'histoire à la faculté de Rennes.
Le 17 juin 1940, le maréchal Pétain ordonne aux troupes françaises de cesser le combat. Les de Gaulle assimilent cette reddition à une forfaiture. Comme son oncle Charles, Geneviève n'admet pas la défaite et prend la décision de résister. Très vite, elle entre dans le réseau Musée de l'homme où elle s'investit dans des missions éminemment périlleuses : fabrication de faux papiers, filière de passage vers l'Espagne, collecte de renseignements et acheminement de documents secrets, expérience du maquis.
Le 20 juillet 1943, à Paris, dans une librairie, boîte aux lettres du réseau, elle jette sa véritable identité au visage de l'infâme policier Bonny qui dégote derrière un rayonnage une serviette compromettante dissimulée par Geneviève. Elle est alors conduite vers un hôtel particulier de la rue Lauriston pour un passage à tabac en règle, puis transférée à la prison de Fresnes. Après six mois d'incarcération, elle est acheminée vers le camp de Royallieu de Compiègne.
Le 31 janvier 1944, gare de l'Est, s'ébranle le terrifiant cortège de près de 1000 femmes françaises que l'on a entassées dans des wagons à bestiaux. Geneviève est accompagnée de Jeanne Forcinal (épouse d'Albert, l'ami fidèle de Jean) et de la mère de Germaine Tillon. Sitôt arrivées à Ravensbrück, Geneviève n'est plus que le numéro 27372, Jeanne le 27405 et Emilie Tillon le 27294.
Par sa foi profonde et sincère, son courage et sa volonté acharnée à rester debout, Geneviève est un réconfort pour ses camarades et pour Florentine qui les rejoint quatre mois plus tard. Geneviève intègre le comité de résistance du camp avec Marie-Claude Vaillant-Couturier, Anise Postel-Vinay et Denise Vernay. Malgré l'écrasement et l'horreur du camp, les injures et la violence subie, Geneviève conserve pourtant sa capacité à s'émerveiller pour rester elle-même : "les trésors d'humanité d'une déportée affamée qui trouve moyen d'offrir sa ration à une autre ou cette érudite qui déclame du Valéry pour signifier à ses camarades de block que la beauté n'est pas encore tout à fait morte".
Fin octobre 1944, Geneviève quitte le block des tricoteuses pour la prison glaciale de Ravensbrück. Elle y reste isolée jusqu'en février 1945 d'où elle est sortie pour les prisons de Munich et de Stuttgart. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Himmler espère en effet la monnayer avec les américains.
Enfin libérée le 9 avril 1945 par la Croix Rouge Internationale à Kreuzlingen, en même temps que Florentine, elle se réfugie à Genève auprès de son père qui a été nommé consul général de France. Elle reprend des forces, mais c'est l'oncle Charles qui, à Paris, recueillera chaque soir les confidences que l'amour et la pudeur filiale ont refusées à Xavier. Le président du Conseil est bouleversé : " Ton récit m'a laminé l'âme ! "
En 1946, Geneviève épouse Bernard Anthonioz, un résistant savoyard. De cette union naissent Michel (1947), François-Marie (1949), Isabelle (1950) et Philippe (1953). Toute à son bonheur d'épouse et de mère, Geneviève de souligner : " La maternité, pour nous, c'est l'antidote de ce que nous avons vécu en déportation, l'espoir de pouvoir vivre quelque chose de nouveau, une espérance ! "
Loin de se détourner de ses engagements, elle participe au fonctionnement de l'Association des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR).
En 1958, lorsque le général de Gaulle revient aux commandes de l'Etat, André Malraux propose au couple Anthonioz de le rejoindre au ministère de la Culture. Mais Geneviève préfère suivre le père Wresinski sur les sentiers fangeux de Noisy-le-Grand. Là, parquées dans un bidonville, deux cent soixante familles attendent un logement. Geneviève de Gaulle Anthonioz reprend son bâton de pèlerin pour lancer une croisade contre l'inacceptable. En 1964, elle accède à la présidence d'ATD (Aide à toute détresse).
Par ailleurs, en 1987, elle est témoin au procès de Klaus Barbie. L'ancien officier de la Gestapo doit répondre des crimes imprescriptibles qu'il a perpétrés à Lyon, de 1942 à 1944 : la rafle du 9 février 1943, la déportation des quarante-quatre enfants juifs du foyer d'Izieu et de leurs accompagnateurs (6 avril 1944), l'organisation de l'un des derniers convois pour Auschwitz (11 août 1944). L' ancien SS est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Le point d'orgue de l'action de Geneviève est, en 1998, l'adoption de la loi de lutte contre les exclusions, qui ne la satisfait qu'à demi. " Son combat contre la pauvreté et la misère est un combat d'ordre éthique inspiré de son expérience des camps. Elle refuse que des êtres humains soient privés de leurs droits et bafoués dans leur dignité du fait de la misère, comme les déportés l'avaient été par le système concentrationnaire ", commente Simone Veil.
Le 13 juillet 1997, elle reçoit la plus haute distinction décernée à une femme : la Grand-Croix de la Légion d'Honneur. La récipiendaire signifie toutefois à la présidence de la République qu'elle sacrifiera à la tradition d'une réception officielle - le 16 février 1998 - à la condition expresse de pouvoir inviter ses " trois familles " sous les lambris élyséens : celle que la naissance lui a donnée, celle que Ravensbrück a soudée, celle que Noisy-le-Grand lui a révélée.
Le 14 février 2002, s'éteint celle qui, en chaque déshérité, s'est efforcée de reconnaître Dieu. Tout au long de sa vie, elle a déployé une immense énergie pour faire valoir le droit des plus démunis à la dignité humaine.
Sources : Geneviève de Gaulle-Anthonioz
Germaine Tillon
Simone Veil
Pascal Marchetti-Leca