Jean SUEUR, Poilu de la Grande Guerre, résistant déporté en 1944.

03/08/2014 15:05

Jean naît le 11 février 1887 à Saussay la Vache dans l'Eure. Ses parents sont journaliers agricoles. Il est le huitième d'une fratrie de neuf enfants dont trois décèdent en bas âge.

Après obtention de son Certificat d'Etudes Primaires en juillet 1899, il apprend le métier de charron carrossier à Gisors. Il se lie d'amitié avec Albert FORCINAL, son cousin par alliance, de trois mois son cadet.

A 16 ans, Jean s'engage comme pompier communal auprès de son père à Saussay.

En août 1905, son frère Jules décède brutalement sur son lieu de travail, rue du Boulevard St Antoine à Paris, à l'âge de 28 ans.

Le 7 octobre 1908, Jean est incorporé au 162è Régiment d'Infanterie de Verdun, au quartier Jardin des Fontaines, où il devient soldat armurier. Il rejoint ses foyers le 29 septembre 1910.

A son retour, attiré par les valeurs de fraternité, il entre en Franc Maçonnerie.

Le 6 mai 1911, il épouse Florentine BROCHARD à Gisors où il a repris son métier de carrossier, fabricant les caisses en bois d'automobiles. Florentine est couturière. Leur fille unique Jeanne voit le jour le 24 janvier 1912 à Gisors, chez les parents de Florentine.

Fin 1913, Jean et Florentine s'installent à Paris, 22 rue de la Harpe, où Florentine tient une loge de concierge. Jean a retrouvé un emploi de charron. Leur fille Jeanne reste en pension chez ses grands-parents maternels à Gisors.

A la suite du Décret Présidentiel du 2 août 1914, Jean est mobilisé et rejoint son corps d'armée le 3 août 1914. Il est vélocipédiste à la 3ème Section des Secrétaires d'Etat-major, avant d'être affecté au 3ème Régiment du Génie en décembre 1915. Il prend part aux batailles de Charleroi, de la Marne, de l'Artois, de la Somme et de Verdun. Au cours d'un combat, il est intoxiqué par l'ypérite, il en gardera des séquelles respiratoires. En mars 1916, sa mère décède à Saussay. En avril 1918, son neveu Arthur SUEUR disparaît à la bataille du Mont Cornillet, à l'âge de 23 ans.

Jean est démobilisé le 2 mars 1919, il rentre à Paris.

En 1920, Jean et Florentine prennent la gérance de l'épicerie de Saussay. Jean devient conseiller municipal de Saussay en 1921.

Il intègre la Section des Anciens Combattants de Saussay en tant que secrétaire, puis Vice Président et enfin Président.

Lors du conseil municipal d'août 1925, le nom de Saussay la Vache est modifié afin de parer aux railleries incessantes. Jean propose Campagne Les Saussay, s'inspirant de Campagne Les Hesdin, commune du canton du Pas de Calais où a grandi son père. Afin de garder sa structure initiale, le conseil retient le nom de Saussay la Campagne qui devient officiel le 1er janvier 1926.

En janvier 1932, Florentine et Jean s'installent à Rouen, sur la rive gauche de la Seine. Ils sont tous deux employés de magasin, rue des Carmes. Le 1er mars 1937, ils en deviennent les gérants, sous l'enseigne "Micheline".

Le 9 juin 1940, les Allemands entrent dans Rouen. Dés lors, Jean et Florentine décident de résister. Leurs premières actions consistent à évacuer des aviateurs alliés de la résistance tombés sur le sol de la région rouennaise. Début 1942, ils font ainsi acheminer 12 aviateurs canadiens au consulat américain de Lyon.

Le 15 mai 1943, par l'intermédiaire de "Mme Micheline", sa patronne, Jean est mis en contact à Paris avec Philippe LIEWER, agent du S.O.E.* britannique, afin de monter un réseau en Seine Inférieure. Jean demande à ses amis FRANCHETERRE d'héberger le chef de réseau qui arrive à Rouen le 6 juin sous le nom de Pierre BEAUCHAMP. Le réseau prend le nom de "SALESMAN" pour Londres, et celui de "Combat" pour les résistants. Florentine intègre le réseau dès le 6 juin 1943. Le magasin devient la boite aux lettres principale du réseau. Chacun est chargé de recruter de nouveaux combattants.

En juin 1943, Jean est contacté par son ami Raoul BOULANGER, menuisier aux Ventes, hameau de St Denis le Thiboult, afin de rejoindre son réseau dénommé "Jean-Marie",  du S.O.E. également, et sous les ordres d'Henri FRAGER dans le Calvados.

Le réseau "SALESMAN" (homologué ensuite sous le nom de réseau Hamlet/Buckmaster) s'étend jusqu'aux côtes normandes, à Dieppe et au Havre. Il compte jusqu'à 350 résistants, dont plus d'une centaine sur la région rouennaise.

Jean participe aux parachutages et aux transports d'armes pour le compte des deux réseaux. Il est en outre agent de liaison pour le réseau "Jean-Marie".

Le 1er mars 1944, des résistants de la région dieppoise sont arrêtés sur dénonciation. L'un d'eux révèle le nom de la boite aux lettres à Rouen. Un jeune français appointé par la Gestapo infiltre le réseau, il piège Florentine en donnant le mot de passe. Il obtient de fausses cartes d'identité et un rendez-vous avec Claude MALRAUX, le second du réseau. Le 8 mars, la rafle commence. Sous la torture et la menace de représailles sur femme et enfants, des résistants parlent, une cascade d'arrestations s'en suit, tant à Rouen qu'au Havre. Près d'une centaine de résistants est prise dans les filets de la Gestapo et de la police vichyssoise. Le 10 mars, Florentine et Jean sont arrêtés à leur domicile alors qu'ils dînent. Ils sont emprisonnés au Palais de Justice de Rouen.

Le 12 avril 1944, Jean et ses camarades de réseau sont internés à Compiègne d'où ils sont déportés vers Auschwitz le 27 avril. Ils y sont tatoués sur l'avant bras gauche. Du camp Canada où ils sont en quarantaine, ils sont témoins du génocide juif. Le 12 mai, ils sont transférés à Buchenwald. Jean y retrouve son ami Albert FORCINAL. Jean survivra à différentes maladies grâce à l'aide collective. Il intègre le groupe "Alsace-Lorraine", sous l'égide du Comité des Intérêts Français, organe clandestin de résistance créé par le colonel MANHES et Marcel PAUL. Le 11 avril 1945, pour parer à toute extermination par les SS, le camp se délivre lui-même sous les ordres du C.I.F., quelques heures avant l'arrivée des Américains.

Le 29 avril 1944, Florentine est transférée au Fort de Romainville afin d'être déportée vers Ravensbrück le 13 mai 1944. Comme pour Jean, les conditions de vie dans le convoi sont inhumaines. Elle est affectée au block des tricoteuses, elle y côtoie Geneviève de Gaulle qui apporte son réconfort aux déportées. Grâce à l'aide de jeunes camarades, Florentine échappe à plusieurs reprises à la chambre à gaz. Pour le même motif, elle fuit son block et travaille au terrassement, elle transporte des pierres. Le 5 avril 1945, elle est choisie, ainsi que 300 déportées, afin d'être évacuée par la Croix Rouge Internationale en échange d'Allemands faits prisonniers en France. Elle est rapatriée chez sa fille à St Jean de Frenelles, hameau de Boisemont dans l'Eure, le 15 avril 1945.

Malgré son état de santé alarmant, elle refuse toute hospitalisation avant le retour de son cher mari. Jean est rapatrié le 29 avril 1945, jour des élections communales où les femmes votent pour la première fois en France.

Le 20 mai, Florentine et Jean sont hospitalisés à Rouen. Florentine atteinte du typhus, Jeanne est hospitalisée quelques jours à titre préventif. Après d'atroces souffrances, Florentine décède le 29 juin 1945. Des obsèques nationales sont décrétées pour son inhumation, le 7 juillet, à Boisemont.

Le magasin "Micheline" ayant été anéanti lors du bombardement du 19 avril 1944, Jean est sans emploi. Après quelques semaines de repos, il est embauché comme employé administratif  au service de déminage des plages à Dieppe. En 1949, "Mme Micheline" lui trouve un emploi au magasin "l'Opéra des Gants" à Paris. Jean emménage au 32 rue du sentier. Il  rencontre Marthe DUCHEMIN, cliente du magasin, qui devient sa compagne.

En janvier 1957, âgé de 70 ans, et atteints de graves séquelles de sa déportation, Jean prend enfin sa retraite. Il achète une maison à Morgny, non loin de son village natal.

Le 16 juillet 1960, il épouse Marthe à Morgny. Le 15 mai 1964, il reçoit les insignes de Chevalier de la Légion d'Honneur des mains d'Albert FORCINAL à la mairie de Morgny, en présence de camarades de déportation.

Marthe décède prématurément, à la suite d'une mauvaise chute, le 12 janvier 1969 à Morgny. Le 21 juin 1972, Jean décède à son tour à l'hôpital de Gisors à l'âge de 85 ans. Il repose dans le petit cimetière de Boisemont auprès de Florentine et Marthe.

 

* S.O.E. : Spécial Opérations Exécutive (en français Direction des Opérations Spéciales) indépendant des Services Secrets, créé par CHURCHILL sous les ordres du colonel BUCKMATER à Londres.