L'énigme du convoi des Tatoués
Parti de Compiègne dans la matinée du 27 avril 1944, à cent par wagon à bestiaux, c'est le troisième convoi de non-juifs qui, directement, est allé à Auschwitz. Il y arrive le 30 avril au soir. 1655 détenus sont immatriculés, des numéros " 184936 " à " 186590 " (Jean SUEUR est tatoué du n°186424). D'après les recherches effectuées dans les registres reconstitués de Compiègne, une quinzaine de déportés supplémentaires partent dans ce transport sans qu'on puisse les retrouver ensuite : ils sont donc décédés avant l'arrivée au camp. Le nombre de partants devait donc être de 1670. Il n'y eut aucune évasion connue pendant le transport. Un déporté au moins, Louis BOVERIE, décède avant d'avoir été immatriculé, exécuté par un SS à la descente du train alors qu'il a tenté de s'évader en prenant une moto.
Il faut quatre jours et trois nuits de voyage dans des wagons à bestiaux pour arriver, le 30 avril, en fin d'après-midi, à la gare d'Auschwitz-marchandise, la ligne de chemin de fer conduisant les détenus à l'intérieur du camp n'étant pas encore opérationnelle. "La première journée, de Soissons à Charleville-Mézières, les villes se succédaient en direction du nord-est alors que la matinée de la seconde journée marquait une descente vers le sud-est, jusqu'à Metz*, suivie l'après-midi d'une remontée nord/nord-est qui faisait pénétrer le convoi en Allemagne, par Trèves. Les troisième et quatrième jours, l'itinéraire s'incurvait à travers l'Allemagne : Giessen, Weimar, Dresde, puis le train filait à toute vapeur vers la Pologne."
Les déportés sont d'abord parqués dans deux baraques du camp Canada de Birkenau, sur la terre nue, tout près du complexe chambre à gaz-crématoire IV. Après le tatouage (sur l'avant-bras gauche) et le passage à la désinfection, ils sont transférés au camp BIIb au bout de quelques jours.
Le vendredi 12 mai, un train est formé près de la porte principale du camp. Il emmène 1561 de ces déportés, à 60 par wagon, vers le KL Buchenwald où il arrive le 14 mai au matin. Sur les 92 malades restés à Auschwitz Birkenau, 17 rejoignent Buchenwald quelques jours après et 12 autres y sont transférés le 1er octobre 1944. Au moins 41 des 63 personnes restées à Auschwitz ne rentrent pas de déportation ; 19 décèdent en mai 1944.
A leur arrivée au KL Buchenwald, après un nouveau passage obligé à la désinfection et l'attribution de matricules (de 52401 à 54029), les déportés sont entassés, pour la plupart, au block 57 du petit camp. Le 24 mai, 1000 d'entre eux partent au KL Flossenbürg où ils sont à nouveau immatriculés de 9312 à 10311, puis répartis dans divers Kommandos : Flöha, Janowitz, Hersbruck, etc. Sur ce groupe, 618 ne reviennent pas.
Les 590 autres, restés au camp de quarantaine de Buchenwald, soit montent au grand camp, soit sont éparpillés dans une quinzaine de Kommandos et de camps extérieurs : Dora, Schönebeck, Langenstein, Weimar, etc. Sur ce groupe, on compte 160 décès, soit un pourcentage deux fois moindre que dans le groupe parti à Flossenbürg.
Pour l'ensemble de ce transport, il y eut 819 décédés. Précisons, par ailleurs, que deux déportés sont libérés de ces camps de concentration : le premier l'est le 7 juin 1944 du KL Buchenwald et il rentre en France parce que son absence est préjudiciable à la bonne marche de son usine ; le second l'est le 9 octobre 1944 du KL Flossenbürg pour être mis au travail à Erbendorf, sans que l'on en connaisse les raisons.
Ce transport est surtout resté célèbre sous le nom de "Convoi des tatoués" à cause d'une polémique concernant les raisons pour lesquelles il avait été envoyé à Auschwitz : soit pour que les déportés y soient exterminés, soit par manque de place à Buchenwald, soit enfin pour qu'ils y soient versés dans des Kommandos de travail comme le seront des Français d'autres transports venant de Dachau ou de Mauthausen en novembre 1944...
Notons qu'un certain nombre de personnalités marquantes de la Résistance, dont plusieurs devinrent ministres ou grands serviteurs de l'Etat, font partie de ce transport. Et si l'on se replace au moment de son départ, rappelons qu'il emmène en déportation, notamment, Marcel PAUL, ancien conseiller général de Paris et résistant dans l'Organisation spéciale du parti communiste ; le responsable des FTP de la région Ile-de-France, Robert DARSONVILLE, ainsi qu'un certain nombre de ses adjoints ; les parlementaires François BEAUDOIN, député de la Moselle, résistant dans le réseau Cohors-Asturies, et Louis DESTRAVES, ancien député-maire de Houilles dans les Yvelines ; le journaliste au Temps Rémy ROURE ; le propriétaire de L'Indépendant de Perpignan, Georges BROUSSE ; le polytechnicien et neveu de l'amiral, Georges THIERRY d'ARGENLIEU ; le comte Paul CHANDON-MOET ; les poètes Robert DESNOS et André VERDET ; le peintre Léon DELARBRE, conservateur du musée des Beaux-Arts de Belfort ; etc... Trois " tatoués " ont par ailleurs été nommés Compagnons de la Libération : Rémy ROURE, André BOULLOCHE, délégué militaire de la France Libre pour Paris et sa région ; et son adjoint Ernest GIMPEL. Arrêté au début du mois de janvier 1944, André BOULLOCHE, blessé par balle au cours de son interpellation, est opéré à l'hôpital de la Pitié avant d'être interrogé et déporté par les Allemands.
Paul LE GOUPIL
déporté 185899 du convoi des Tatoués
* Un document retrouvé au bureau des archives du monde combattant à Caen, indique que ce train portait le numéro 230141, et qu'il avait pour destination "Arnanville-Tt", gare d'embranchement située dans la région de Metz. C'est là que s'opère le changement avec les cheminots allemands.